Hygiène / 2018 - 2020
Je suis actuellement en résidence au CHU de Nantes. Je travaille avec deux services : le CATTP de Psychologie, sur leur temps de jardinage, et l’unité de stérilisation sur le site de Saint-Jacques. Mon travail est d’approcher une définition sensible de l’hygiène telle que peut le présenter les pratiques de ces deux espaces, une harmonie complexe pour les jardins et une quasi absence de vie microbienne pour l’autre. Chaque espace est contraint par ses fonctions et ses utilités.
La pratique du jardinage pour les patients du CATTP leur permet de créer un lien avec le vivant et d’en prendre soin. Attention, écoute, observation. Ce jardin questionne l’hygiène à partir de l’écoute des besoins et des rythmes d’un écosystème où le « propre » et le « sale » ne peuvent pas être définis clairement.
L’unité de stérilisation permet le nettoyage, le tri et la stérilisation des outils chirurgicaux. Ils entrent « sales » et ressortent « propres ». La stérilisation est à placer dans un contexte où elle symbolise l’extrême absolu de l’hygiène et démontre sa nécessité pour la bonne prise en charge des patients.
À partir de ces observations, on met en évidence que les relations d’hygiène sont d’une manière générale des relations complexes que nous tissons avec notre environnement.
Ce sont des formes de discours silencieux qui nous lient indissociablement au monde.
Pour développer plus largement ces liens, il est important de ne pas oublier les corps, ceux des patients mais aussi de tous les autres, non-humains, avec lesquels le CHU prend vie. La narration de l’hygiène ne peut conter seulement les faits humains mais elle se propose une écologie pour ne pas oublier les mouettes, les lavandes, les gaines, les arbres qui peuplent ces espaces et participent à l’hygiène globale du site. Tout y est déjà si clairement visible par tout le monde, sinon comment expliquer les motifs de fleurs sur les coiffes du personnel de la stérilisation.


 
Le jardin d’Hygie
Depuis peu, le jardin est vide et les patients sont absents. On visite et on compare les deux sites. Dialogue entre le centre hospitalier de Saint-Jacques et la périphérie du jardin ouvrier du CATTP. 13km. Une charrette tractée à vélo pourra faire de cette distance un espace d’échange. Une serre portable, montée sur la charrette, et compostable (constituée de carton, corde naturelle, feutre de lin) servira à faire les semis et à les rendre disponibles sur chaque site. La charrette peut devenir un lien entre les deux espaces, un lieu de partage et de don. Les premiers, à l’hôpital, réalisent les semis et entretiennent les jeunes plants, puis migration vers les seconds qui peuvent les planter en pleine terre. Une fois l’été passé et les récoltes faites, les graines peuvent retourner à l’hôpital pour attendre d’être semées au printemps. La structure de la serre compostable peut être mise à composter sur le sol pour le nourrir durant l’hiver et faciliter la mise en culture du printemps suivant. L'hiver est l’occasion au sein du CATTP de construire une nouvelle serre, dans l'idéal avec les matériaux qui
poussent sur le site (organiser une culture qui permette la fabrication et le tressage : pailles, ronces, saules, …).
Les tiges de lavande sèche de l’été dernier sont attachées à la charrette. Voyage olfactif qui permet à un patient de conter sa jeunesse, il n’a pas 30 ans. Une guitare et un musicien gagnent cette dynamique de partage. Odeur volatile et intemporelle. Rythme des saisons. Un cycle long est nécessaire pour vivre en ces lieux. Premiers semis et mise en serre. La charrette dépose la serre et rentre vide, dans l’attente des jeunes plants. La serre est trop confinée, manque d'air, les semis ne se développent pas, moisissures. Elle est démontée et compostée sur place avec les patients pour préparer une petite zone de culture.
Ce principe de mobilité est, pour le moment, abandonné. Manque de temps pour être présent avec tout le monde.
Régulièrement, les pies sont proches de nous, affairées à leur quotidien. Le chant des mouettes se fait entendre au sein de l’hôpital. Elles vivent là, autour et dans ces lieux.
Le jardin ouvrier offre un espace plus grand, bien plus riche en vie du sol et en biodiversité que l’espace de jardin du site de Saint-Jacques. La pratique sur place du jardinage est assez large et donne une grande liberté aux patients. La blanchisserie nous a offert des tissus. On couvre le sol avec ces draps, ils sont bons à jeter car le coton qui les constituait en partie n’est plus présent. Ces tissus pansent le sol du jardin.
Plusieurs saisons, le bois se décompose et la terre s’y mêle par l’activité de tous. Les légumes s’y plaisent au printemps. Les coeurs s’apaisent.
Grâce à nos pratiques de jardinage, un cycle est ouvert. Il s’organise de manière à définir l’hygiène du jardin. L’opposition du « propre » et du « sale » est définie par un système de valeur, c’est un point de vue humain. Cette opposition est à déplacer. Elle est à situer dans un ensemble de relation * CATTP : Centre que prend en charge toute la vie du site. Le «sale » et les déchets, de notre point de vue, sont gérés par les micro-organismes et transformés en « propre » pour la pratique du jardin. Ce dialogue incessant nous déplace dans un environnement riche en valeurs pour chaque acteur participant à cette dynamique du jardin. L’hygiène au jardin n’est pas définie par l’opposition de ces extrêmes, le « sale » et le « propre », mais par un moyen dynamique de don, d’échanges et de transformations, qui présente l’avantage que chaque étape enrichit le don suivant. Cette boucle dynamique est enchevêtrée parmi d’autres cycles de valeurs portés par l’ensemble des être vivants habitant ce lieu. En même temps, j’ai commencé une série de dessins de grands formats au fusain, à partir de photos prises de ces moments passés ensemble au jardin. Les photos sont prises par tout le monde. Elles portent sur ce qui semble important, là où le regard se pose, sur le quotidien du jardin. Elles apportent une mémoire à nos pratiques. Les  dessins sont constamment repris et régulièrement effacés. La surface du dessin est frottée pour brouiller la vue pendant un instant, la rendre plus curieuse à la strate suivante. Il faut beaucoup dessiner, rendre le dessin fertile comme la terre, noire à force de cycle saisonnier. Le noir devrait s’imposer sur la totalité de la feuille. Les dessins peuvent continuer d’être fait par d’autres en d’autres lieux, laisser le dessin à tous, à portée de main et de gestes variés. Les dessins voyagent. Conserver ce mouvement comme activité joyeuse et fertile.




Résidence financée par la Drac et l’ARS des Pays de la Loire dans le cadre du dispositif Culture-Santé