les hôpitaux dans la guerre - la Résistance

Une filière du réseau Buckmaster au sein des hospices civils de Nantes

L'arrestation, puis l'exécution de l'un des administrateurs des hospices, qui ne prendront le nom de CHR qu'après la guerre, ne suscite pas auprès de leur personnel de réaction particulière. Les hospices de Nantes sont alors répartis en trois établissements: l'hôtel-Dieu au centre-ville, qui accueille l'urgence et les services dits aigus, l'hôpital Saint-Jacques au sud de l'agglomération, affecté essentiellement aux malades mentaux et aux vieillards, et enfin le sanatorium Laënnec, à l'ouest de la ville.
Le personnel, parmi lequel quelque 180 religieuses, est en 1939 en majorité féminin. Parmi les hommes mobilisés, beaucoup sont faits prisonniers dés le début de la guerre. Pourtant, il reste des noyaux masculins importants à l'hôpital Saint-Jacques du fait de la psychiatrie où la mixité n'est pas admise (il faudra attendre trente ans).

Dès l'armistice, Jean-Baptiste Peneau, alors surveillant adjoint en psychiatrie, cherche à aider les soldats prisonniers évadés en chinant  pour eux argent et vêtements civils. Finalement, les occupants canalisent le flot des prisonniers, les évasions se raréfient et Peneau cesse cette activité au bout de quelques mois.

Deux ans plus tard, la mise en place du STO, destiné à soutenir l'industrie allemande, l'organisation progressive des mouvements de résistance, les incitations de Radio Londres ou encore le procès et l'exécution de 37 résistants communistes en janvier 1943 à Nantes, font réagir Peneau qui considère qu'il ne peut rester indifférent. Sans doute, comme tant d'autres, ne mesure-t-il pas alors pleinement la redoutable efficacité des différentes forces de police spécialement créées, avec l'appui de la Gestapo pour "la lutte antiterroriste et anticommuniste".

Cette méconnaissance des risques encourus sera sans doute à l'origine de dramatiques imprudences.  Au début de 1943, Peneau prend contact avec un ami de son père, Marcel Hatet, responsable syndical des services techniques de PTT qui l'informe d'un réseau de résistance, le réseau Vengeance.

La constitution du réseau

A partir de mai 1943, Peneau cherche alors à recruter, parmi ses collègues de l'hôpital Saint-Jacques, un certain nombre de volontaires pour constituer des corps francs. Ses amis, "la bande des quatorze", qui aiment tant se retrouver autour d'un bon repas malgré les dures restrictions alimentaires, deviennent l'embryon de ce petit groupe  de résistants. Ce groupe prend vite comme nom de réseau celui d'un agent de liaison anglais, Oscar Buckmaster. Celui-ci a pour mission de créer, depuis 1941, des groupes chargés d'assurer la réception de parachutages d'armes et d'argent.
Tous n'ont pas accepté. En revanche, Louis Hertmann raconte: "En juin 1943, Peneau dont j'étais l'ami, m'a dit: "Tout ce que je vais te confier, tu n'en parleras à personne". Il m'a alors expliqué qu'il formait un groupe de résistance dans l'hôpital et m'a demandé si je voulais y adhérer. J'étais prisonnier évadé et j'avais pu reprendre mon travail à l'hôpital grâce à l'économe qui connaissait ma situation. J'ai demandé à Peneau une nuit pour réfléchir, mais le lendemain matin, j'ai dit oui, car j'étais célibataire, cela me paraissait davantage mon rôle qu'à d'autres". Il y a aussi Prouteau, Pierre le veilleur de nuit, les frères Foy, André Hercouët, Gaston Louis ou encore Mathurin Le Pluart.

sabotages, préparation de l'attaque des entrepôts allemands...

Pendant quatre ou cinq semaines, ce groupe participe à quelques actions individuelles, toujours en ignorant leur appartenance commune à un réseau: coupure des fils électriques du dispositif d'allumage destiné à faire éventuellement sauter le pont de Pirmil, alors unique pont routier reliant Nantes les deux rives de la Loire;  récupération d'armes à Saint-Philbert de Grand Lieu et leur transport dans des conditions rocambolesques vers le centre-ville (une grenade, heureusement non dégoupillée, tombera sur le pavé nantais d'une poche percée d'imperméable et sera ramassée aussitôt); repérage des abords des entrepôts des Salorges de la chambre de commerce, etc.

Selon les instructions de Marcel Hatetv auquel les informations recueillies sont ensuite transmises, il s'agit de chercher à repérer les mouvements des bateaux allemands et surtout  de préparer pour la fin de l'année 1943 l'attaque et l'incendie des entrepôts des Salorges où l'armée d'occupation stocke la majeure partie des denrées collectées sur place. Peneau, dont le père travaille depuis longtemps aux Salorges, connaît le plan des entrepôts.

les arrestations

Las! Un adjoint de Hatet est arrêté par Gestapo fin juillet 1943. A l'époque, les dénonciations anonymes pleuvent littéralement à la police secrète allemande. C'est ainsi qu'après son arrestation, Gaston Louis apprend qu'il a un jour descendu une caisse d'armes. Fouillant dans sa mémoire, il se souvient qu'un jour on lui rapporté un lit de fer qu'il avait prêté. Cela a fait du bruit dans l'escalier et on a raconté des choses... en bâtissant un roman. Sous la torture, cet adjoint révèle que les initiales des noms des membres du réseau et leurs adresses sont cachées à son domicile dans des paquets de nouilles.

C'est alors un jeu pour la Gestapo de remonter la filière. Peneau apprend cette arrestation et en avise immédiatement quelques-uns de ses camarades du réseau. Mais tous ignorent que leurs adresses peuvent être connues et se croient à l'abri de toute surprise. Fuir serait avouer sa culpabilité et perdre irrévocablement son emploi. Il y a de quoi hésiter et personne ne bouge.

Prouteau est d'abord arrêté à son domicile dans la nuit du mardi 28 au mercredi 29 juillet. La gestapo - deux allemands et deux français, tous en civil- se présente à son domicile à 5h30. Il est couché, ainsi que son épouse et ses deux enfants. Il est immédiatement conduit au siège de la Gestapo, place Louis XVI, où il est interrogé et battu pendant des heures. Il en sera de même pour la plupart des autres. Peneau est lui aussi arrêté à son domicile, le 29 vers minuit. Dirigé place Louis XVI, il est à son tour roué de coups jusqu'à 7h du matin, à genoux sur une règle d'écolier. Pendant des heures, ses bourreaux le questionnent sur l'activité du réseau et sur les noms de ses membres qu'ils connaissent déjà parfaitement puisqu'ils les appellent même par leurs surnoms.

Vers 13 heures, il est mis en présence d'un civil français décoré qui déclare à un gradé allemand : "C'est bien celui-là". Puis il est transféré dans une cellule de la prison de la rue Lafayette où il retrouve Prouteau, arrêté la veille, méconnaissable. Roué de coups de la tête aux pieds, il ne peut plus s'asseoir, ni se coucher. Le 30 juillet, à 5h30 du matin, la Gestapo se présente à l'hôpital Saint-Jacques. Elle n'est pas seule. Des gendarmes allemands - des "colliers de chiens" comme on les appelait alors, par allusion  à la large plaque de métal portant la mention Feldgendarmerie qui pendait à leur cou par une chaîne- en bloquant les différentes entrées.

Pierre, veilleur de nuit, est arrêté à la sortie de son travail. Les frères Foy, puis André Hercouet, logés en dortoir, subissent le même sort. Les autres membres du groupe seront eux aussi arrêtés à leur domicile.  Gaston Louis revenu imprudemment chez lui, 11 rue Contrescarpe à Nantes, bien qu'il ait déclaré la veille à sa cousine que "le chef  du réseau a été arrêté, mais on ne risque rien, ils n'ont ni noms, ni adresses",  est également arrêté. Mais bien que questionné, il ne sera pas battu : la Gestapo possède maintenant tous les noms et n'a maintenant plus de temps à perdre. Hercouët, interrogé lui aussi, ne subira pas de violence. Mais de tous, il est le plus inquiet, persuadé qu'il va être fusillé d'une heure à l'autre sans jugement. En effet, prisonnier de guerre il a été libéré depuis quelques mois, sous l'engagement de ne plus jamais prendre les armes contre l'armée allemande ; manifestement, ses geôliers l'ignorent. Louis Hertmann, employé à la chaufferie, apprend en passant à la conciergerie, vers 7h30 que la Gestapo est à l'hôpital. Et que par deux fois, Hertmann a été demandé. Il prend immédiatement son vélo et se rend au domicile de Hertmann, le sort du lit en lui disant: "Je ne sais pas ce que tu as fait, mais la Gestapo te demande, à toi de savoir ce que tu dois faire". Avec prudence, Hertmann prend la direction de l'hôpital, tout parait calme, la Gestapo est partie. Au café, en face, on le prévient que son chef, le contremaître, lui fait dire de ne plus se présenter au travail. Il n'insiste pas, fait demi-tour. Devant le cimetière Saint-Jacques, près de chez lui, un ami l'arrête par hasard. Il voit aussitôt passer devant lui une traction avant noire, sa mère assise à l'arrière. Entre temps la Gestapo s'est présentée à son domicile, a fouillé la maison et arrêté sa mère. Elle sera relâchée le soir même car, visiblement, elle n'était au courant de rien. Hertmann part sur le champ se réfugier chez un ami, près de Segré, où il restera jusqu'à la fin de la guerre. En moins de quarante-huit heures, tout le réseau de Saint-Jacques, qui comptait une douzaine de membres, a été démantelé, seul Hertmann en réchappe.

Pendant six semaines, les résistants séjournent à la prison de Nantes où ils subissent de temps à autre des interrogatoires, sans brutalités excessive. Chaque mercredi, leurs familles se présentent à l'entrée pour faire remettre aux prisonniers du linge et des colis; de ces derniers, les destinataires ne verront pratiquement rien. Début septembre, les gardiens allemands informent les familles que les résistants quitteront bientôt  Nantes pour une destination inconnue et les invitent à préparer un colis de 5 kilos au maximum.

Accompagnés par des gendarmes français, encadrés par des allemands, les prisonniers voyagent en wagon de voyageurs, dans des conditions normales. Ils ignorent leur destination. Les gendarmes acceptent de faire parvenir quelques lettres à leurs proches. A Compiègne, ils restent à nouveau six semaines : poux et puces sont leurs compagnons mais la nourriture est acceptable et ils peuvent recevoir des colis. Beaucoup mieux qu'à la prison de Nantes.

destination Buchenwald

Le 26 octobre: départ pour une destination inconnue. Les allemands qui gardent le camp de Compiègne, des réservistes disent aux prisonniers : "On vous envoie travailler en Allemagne". Le voyage dure trois jours dans des conditions atroces: wagons plombés, très peu de nourriture, pas d'eau. Arrivés le 29 à Buchenwald, ils sont accueillis à coups de crosse par les SS aidés de leurs chiens. Pendant les six premiers mois, Peneau fait du terrassement. Pour survivre sous les coups et avec une nourriture quasiment nulle, il faut faire semblant de travailler sans arrêt en ménageant ses forces le plus possible. Il sera affecté, par la suite, au Revier (infirmerie des détenus) où lui sera confié le poste de Studendiens et chargé, à ce titre, du nettoyage et des soins aux détenus atteints de typhus. Pour survivre avec leur nourriture misérable, ils n'ont d'autre solution que de différer de vingt-quatre heures l'annonce à leurs gardiens de la mort de leurs "malades". Ils peuvent ainsi disposer de leurs rations avec tous les risques que cela comporte pour eux de condamnation à mort immédiate.
Les prisonniers peuvent écrire à leur famille. Bien sûr, ces lettres écrites en allemand sont censurées par les gardiens SS. Ainsi, Gaston Louis écrit de Buchenwald, le 21 mai 1944, une lettre qui parvient bien à sa famille. Elle est signée de sa main mais rédigée sous sa dictée en allemand par un autre détenu connaissant cette langue, qui faisait office d'écrivain public. "J'ai reçu il y a deux jours votre lettre du 24 avril qui m'a fait beaucoup de plaisir. Le 30 avril et le 12 mai, j'ai reçu deux grands et beaux paquets. Quelle joie! Quelle peine tu as dû avoir pour faire d'aussi jolis paquets. Je suis toujours en bonne santé et j'ai bon moral. J'espère qu'il en est de même pour toi".

En réalité, les colis sont systématiquement pillés par les gardiens SS. Mais ces lettres qui se veulent rassurantes cachent aux familles des prisonniers, jusqu'à la libération des camps, les conditions horribles de leur détention.

Quant à Mathurin le Pluart, interné au camp de Buchenwald-Weimar, il reçoit d'un gardien deux coups de barre de fer sur la tête parce qu'il ne travaillait pas assez vite. Il est laissé sur place, agonisant toute la journée. Le soir, ses camarades le ramènent au baraquement, le cachent dans le plafond et le déclarent mort (sa mère sera avisée de son décès). Chaque jour, ils le redescendent, après la ronde des gardiens et le pansent avec des bouts de papier et de la ficelle. Il survit ainsi jusqu'à la Libération, évitant l'évacuation du camp au cours de laquelle tant de prisonniers périssent. Car la Libération arrive, mais plus de 52 000 déportés, sur les 240 000 du camp de Buchenwald, ouvert dès 1937 pour les adversaires du nazisme, sont morts.

libération

Louis Gaston, qui a pu préserver un minuscule carnet d'écolier, écrit ce jour-là : "11 avril 1945, 3h30 de l'après midi, les américains délivrent notre camp. On n'ose croire à tant de bonheur: avoir réussi à sauver notre pauvre carcasse! Il était grand temps car je suis complètement épuisé. Pendant l'attaque du camp, je suis assis par terre dans le dortoir avec Dédé et nous mangeons de la margarine au miel. Nous sommes très calmes et nous parlons comme si de rien était".
Quelques semaines plus tard, les prisonniers sont rapatriés. Mais dans quel état !  Pierre Billet, qui a dû travailler pendant des mois dans les usines souterraines de Dora, ne pèse plus que 45 kilos, Peneau est passé de 90 à 69 kilos, André Hercouët de 75 à 43 kilos... Tous porteront jusqu'à la mort les stigmates de ces deux années de cauchemar. Cinq membres de ce groupe ne reviennent pas, ayant succombé de misère ou sous les coups. Une plaque à l'entrée de l'hôpital Saint-Jacques commémore leur souvenir ainsi que celui de quelques-unes des autres victimes de la guerre.

Moins de deux mois après l'arrestation des membres du réseau, l'hôtel-Dieu, le 16 septembre, puis les Salorges, le 23 septembre, sont détruits au cours de bombardements causant la mort de quelque 1200 personnes, dont une soixantaine à l'hôtel-Dieu. La population de Saint-Jacques (malades et personnel) est alors progressivement dispersée dans des lieux de repli.

Il n'y eut plus de tentative de création de réseau de résistance aux hospices civils de Nantes. Mais n'oublions pas ceux qui, en ce juin 1943, voulurent, et le payèrent très cher, tenter de prendre part une part active à la libération de notre pays.
Maurice Savariau,
membre de l'AHHPSN